Enquête "volcanique" au pied du Vésuve

Le printemps napolitain est une bien belle saison. Un soleil caressant fait miroiter l’eau calme de la baie sans troubler l’atmosphère. La température est douce, le Vésuve découpe ses pentes verdoyantes dans un air limpide, sans penser déjà aux brûlures de l’été. Au loin, l’île de Capri, délaissée par les hordes de touristes envahissants, semble vouloir accoster bientôt. Dans la rade, le Castel del Ovo, bâti pour affronter les pires tempêtes, joue avec les mouettes alors que, sur les collines, Santa Lucia sème l’or des mimosas dans la brise légère venue du large.

En 2005, les hommes de la Guardia di Finanza ont sans doute profité de cet air de printemps pour aller se balader à Sarno, au pied du Vésuve. Une balade plaisante pour une perquisition de routine dans un entrepôt suspect. Ils étaient loin d’imaginer jusqu’où les entraînerait cette première investigation. Dix ans ont passé. Déposé sur le bureau du ministère public, un mètre cube de paperasse résume cette décennie d’enquête, que le «Dottore» Ernesto Caggiano, président du tribunal de Nocera Inferiore, tente aujourd’hui de synthétiser. Les 10’000 contrefaçons saisies à Sarno en 2005 n’étaient que la partie visible de l’iceberg. Depuis cette balade printanière, il a fallu auditionner des dizaines de prévenus, retranscrire des centaines d’écoutes téléphoniques. Plus l’enquête avançait, plus le réseau se ramifiait, faisant intervenir des familles entières de ressortissants chinois. Jouant de leur ressemblance physique et de leur homonymie, portant des papiers d’identité qu’on eut dits interchangeables, les prévenus ont savamment entretenu la confusion la plus totale. Un jour des cousins, le lendemain des inconnus. Un jour marié, le lendemain célibataire. Mieux encore: un prévenu a continué de répondre aux convocations de la police… plusieurs mois après son décès. Jusqu’aux interprètes chinois, requis par la Justice, qui ont jeté l’éponge, incapables de traduire en italien les patois chinois et les codes de langages utilisés entre eux par les impliqués. Et pour couronner le tout, quelques individus qui se dénoncent spontanément et prennent sur eux toutes les charges, d’accord de partir en prison sur-le-champ pour expier les fautes du clan. Les enquêteurs ne sont pas tombés dans un panneau si grossier: les «désignés volontaires» payés pour aller en prison (voilà bien un sot métier n’est-ce pas?) ont été renvoyés illico à leurs commanditaires en Chine. De guerre lasse, faute de pouvoir mettre une identité sur une voix, les policiers ont eu l’idée géniale d’utiliser la technique de l’empreinte acoustique. Un ingénieur acousticien a été chargé de cartographier les centaines d’empreintes acoustiques de tout ce beau monde. Après des mois de comparaisons minutieuses, l’expert a enfin pu mettre un nom sur une voix et confirmer ainsi que le prévenu X est bien celui qui a téléphoné au prévenu Y, malgré toutes ses dénégations. A partir de là, les contours du réseau protéiforme ont peu à peu pris forme nette.

Le 9 mars dernier, le Tribunal de Nocera a souhaité revenir en détail sur les investigations techniques menées par le Service anticontrefaçon de la FH dans le cadre de cette enquête hors norme. Les conclusions de la FH confortent les autres éléments de l’enquête policière. Toutes les contrefaçons analysées ont été fabriquées en Chine entre 2003 et 2005 puis envoyées non assemblées par bateau en Italie. La marchandise était réceptionnée à Naples, puis convoyée à Sarno et à Pise pour l’assemblage dans trois ateliers clandestins, avant d’être distribuée dans toute l’Europe, y compris en Suisse. Un convoyeur chinois appartenant à ce réseau a été appréhendé par les douaniers suisses à Chiasso. Sur la période d’activité estimée, plusieurs centaines de milliers de pièces ont ainsi été écoulées. La partie adverse a bien tenté de minimiser les volumes en jeu, sans succès. Dans une enquête si touffue, le Ministère public a grandement apprécié l’aide technique apportée par la FH et c’est par ces remerciements que Dr Caggiano a mis un terme à l’audience. Prononcé du jugement dans le courant de l’été.

26.3.2015