Les trois lauréats du Prix Gaïa 2015

Elle a des doigts de fée et crée des merveilles horlogères, il est spécialiste des chronomètres de marine, les complications n’ont plus de secrets pour lui… tels sont les profils des trois lauréats 2015 du Prix Gaïa.

Le 17 septembre dernier, le Musée international d’horlogerie (MIH) de La Chaux-de-Fonds a accueilli la 21ème édition du Prix Gaïa. Remise chaque année, cette distinction honorifique est décernée à des personnalités qui ont participé à développer et à renforcer la connaissance de l’horlogerie par leurs œuvres et travaux dans trois catégories: l’artisanat et création en horlogerie, la recherche historique en horlogerie et en mesure du temps et l’esprit d’entreprise. Le jury attribue un prix dans les trois domaines, se réservant toutefois le droit de ne pas en donner dans l’une ou l’autre des catégories.

Cet événement a été gratifié par la présence d’Isabelle Chassot, directrice de l’Office fédéral de la culture qui a relevé l’importance de la branche horlogère dans le tissu économique suisse. Elle a également rappelé la présence de l’Horlogerie sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.

Régis Huguenin-Dumittan, conservateur du MIH, a ensuite remis les trophées aux lauréats et signalé l’heureuse présence cette année d’une nominée, cinquième femme dans la longue liste de remise du Prix.

Artisanat et création
En dédiant le Prix Gaïa 2015 à Anita Porchet, le jury a voulu distinguer le rôle fondamental, la persévérance et l’indépendance dont elle a fait preuve dans la redynamisation d’une discipline en voie de disparition: l’émaillage.

Anita Porchet est née en 1961 à La Chaux-de-Fonds. Elle s’initie à l’émaillage dans le cadre familial avant d’entamer une formation dans les beaux-arts. En 1983, elle réalise ses premiers travaux pour l’horlogerie.

Anita Porchet se découvre une passion pour les arts dès l’âge de douze ans. Après l’obtention de sa maturité fédérale, elle effectue une année préparatoire à l’Ecole d’arts appliqués de La Chaux-de-Fonds avant d’entrer à l’Ecole d’arts de Lausanne en 1980. Après divers travaux d’émaillage pour des entreprises horlogères, elle décroche, en 1984, son certificat en option gravure et émail, à tout juste 23 ans. La même année, elle reçoit le prix Patek Philippe, forte d’une expérience acquise lors de cours particuliers chez Elizabeth Juillerat, émailleuse à Genève.

De 1985 à 1992, elle rejoint l’enseignement du dessin, des activités créatrices manuelles et de l’émail à l’Ecole d’arts appliqués de La Chaux-de-Fonds. En parallèle, Anita Porchet effectue plusieurs travaux d’émail pour des particuliers et expose ses œuvres avec le groupement des émailleurs. Suite à de multiples travaux, elle décide de s’établir à Lausanne et d’y installer son atelier. Ses talents artistiques prenant de l’essor, elle a l’opportunité d’exposer à plusieurs reprises, notamment à Paris en 1994 pour un travail réalisé en collaboration avec le peintre F. Froehlich (Morez, France), pour des bijoux émaillés contemporains, ainsi qu’une exposition personnelle au Musée d’horlogerie de Genève en 1995.

Depuis 1995, elle réalise des travaux d’émail pour des entreprises ayant une forte légitimité dans les métiers d’art (Patek Philippe, Vacheron Constantin, Piaget) ou dans le savoir-faire (Hermès, Chanel). Cette implication dans l’horlogerie lui permet d’acquérir une renommée certaine, faisant d’elle une spécialiste reconnue parmi les meilleures. Sollicitée par de nombreuses marques, Anita Porchet n’a pourtant jamais fait de concession sur son statut d’indépendante.

Grâce à ce parcours, elle enchaîne voyages et expositions. Lors de ses déplacements, elle a l’occasion de faire des démonstrations d’émaillage au Japon, à Florence, New York, Paris, ainsi qu’à Shanghai. Sa participation aux expositions collectives - à la Galerie Pomone à Lutry, à la Galerie Rouge à Morges, à la fondation l’Estrée à Ropraz, à Strasbourg ou encore à l’exposition «Bijoux suisses au 20ème siècle» présentée à Genève, Zurich et Ligornetto - ne fait qu’affirmer son talent d’artiste.

Anita Porchet a su réaliser des chefs-d’œuvre d’émaillerie, en utilisant différentes techniques, principalement celle de la miniature. Elle pratique également le paillonné, une technique extrêmement rare. Les paillons consistent en de petites paillettes de formes variées, découpées dans de la feuille d’or.

Anita Porchet a effectué la reproduction du plafond de l’Opéra Garnier à Paris pour Vacheron Constantin, ainsi que la création de la montre de poche «Aube sur le lac», faite à l’occasion du 175ème anniversaire de Patek Philippe. L’émaillage de ces garde-temps, qui sont des pièces uniques, repose entre ses mains. Elle travaille depuis son atelier situé à Corcelles-le-Jorat, son village d’origine, où elle s’est installée depuis maintenant 17 ans.

Histoire et recherches
Par cette distinction, le jury a souhaité reconnaître la contribution essentielle de Jonathan Betts à l’histoire de la mesure du temps, notamment dans le domaine de l’horlogerie britannique et des chronomètres de marine.

Issu d’une famille d’horlogers, Jonathan Betts mène sa formation au British Horological Institute. Né dans le Suffolk le 29 janvier 1955, Jonathan Betts est un grand expert des premiers garde-temps de marine de John Harrison.

Jonathan Betts est conservateur émérite aux National Maritime Museum de Grennwich. Il est nommé conservateur principal en horlogerie en 1979, commissaire principal d’expositions liées à l’horlogerie en 2000, avant de se retirer de son poste à temps plein en 2015. Il est membre et vice-président du British Horological Institute, vice-président de l’Antiquarian Horological Society, membre de la Society of Antiquaries, membre de l’Institut international de conservation des œuvres historiques et artistiques et membre de la Royal Society of Arts. En 1998, il est nommé membre Huntington du Mariners Museum, Virginie, après le catalogage de la collection des chronomètres de marine du musée. En 2014, il est nommé maître de la Worshipful Company of Clockmakers et en est actuellement le vice-maître, ainsi que conseiller auprès du commissariat d’expositions du Clockmakers Company Museum.

Jonathan Betts poursuit ses recherches dans l’histoire des horloges, des montres et chronomètres, avec un intérêt particulier pour le chronométrage de précision et son utilisation dans la navigation, ainsi que pour la détermination de la longitude en mer. On lui doit une importante réflexion autour de la muséographie des chronomètres de marine, des horloges et des pièces uniques de la collection de l’Observatoire Royal de Greenwich, y compris les quatre célèbres chronomètres de marine de John Harrison, et leur rayonnement auprès du grand public.

Ses missions indépendantes l’amènent à être expert en horlogerie auprès de la National Trust of Great Britain, expert auprès de la Harris (Belmont) Charity et de la Wallace Collection (Londres). Pendant des années, il est au service du Clocks Conservation Committee of the Council for the Care of Churches et est l’expert horloger du diocèse de Southwark, Londres. Il a travaillé pendant plusieurs années avec le Clocks Vetting Committee of the British Antique Dealers Association (BADA) Fair à Chelsea et est le président du Clocks Vetting Committee of Masterpiece Fair (Londres). Il est membre du comité d’honneur du Concours international de chronométrie depuis 2010.

Depuis quarante ans, il donne régulièrement des conférences sur l’horlogerie et sa conservation. Il est aussi chargé de cours au West Dean College, donne des séminaires dans des musées ainsi qu’auprès d’associations d’horlogerie et du patrimoine. Il intervient régulièrement à la radio et à la télévision pour parler du monde horloger et écrit fréquemment dans la presse spécialisée. Il a conseillé Harrison et Gould pour la série Longitude (Granada 2000) et a été l’auteur de l’idée et de certains passages du scénario de la brillante fin du dernier épisode de la série télévisée (britannique) «Only Fools and Horses», Time on their Hands, en 1996.

Il a obtenu le Prix Callender du National Maritime Museum en 1989, la médaille d’or de la Clockmakers’ Company’s Harrison en 2002, la médaille d’argent Barrett du British Horological Institute (BHI) en 2008; en 2012, il a été fait membre de l’Empire Britannique (MBE) lors du jubilé de la Reine en honneur «Aux services rendus à l’horlogerie» et la même année, il a reçu le prix chinois BQ «Watch Culture» de la revue d’horlogerie BQ basée à Pékin. En 2013, il a reçu la médaille Plowden de la Royal Warrant Holder’s Association pour sa contribution à la conservation horlogère.

Il vient de terminer un catalogue présentant la collection des chronomètres de marine du National Maritime Museum, qui doit être publié chez Oxford University Press en 2016.

Esprit d’entreprise
Le jury a décidé de distinguer Giulio Papi pour son rôle majeur joué dans le développement de complications de montres-bracelets et dans la fondation de la société Renaud & Papi dès 1986.

Italien d’origine, Giulio Papi est né le 22 mai 1965 et a grandi à La Chaux-de-Fonds. Grâce à un professeur, son amour pour la mécanique se transforme en passion pour l’horlogerie et pour les complications en particulier, ce qui le conduira à fonder sa propre société en 1986: Renaud & Papi.

Au contact de son père technicien constructeur de machines-outils, Giulio Papi devient très vite passionné de technique et de mécanique (automobile, aéronautique, spatiale). L’horlogerie s’impose à lui au moment de choisir un métier dans la région neuchâteloise. Giulio Papi commence son apprentissage d’horloger en 1980, sans grande conviction puisqu’il se retrouve seul dans sa classe, la crise horlogère en décourageant plus d’un à se lancer dans le métier. Profitant de l’accessibilité unique de ses enseignants, il acquiert le plus de connaissances possibles. Grâce au professeur Jean-Claude Nicolet, son amour pour la mécanique se transforme en passion pour les montres. Giulio Papi termine son apprentissage en 1984. Il se présente chez Audemars Piguet avec une montre squelette réalisée de ses propres mains. Il est immédiatement engagé dans l’atelier des Spécialités. C’est là qu’il rencontre Dominique Renaud, son futur associé. Après avoir passé un an dans cet atelier, il finit par demander aux ressources humaines quand il pourra travailler sur des complications horlogères. Lorsqu’on lui répond que cela prendra une vingtaine d’année, et cela à condition que des places soient disponibles, il décide d’emprunter un autre chemin. Il s’engage d’abord comme restaurateur de montres anciennes chez Antiquorum, puis reprend contact avec Dominique Renaud, avec qui il travaillait chez Audemars Piguet. Tous deux voulant oeuvrer sur des complications décident de créer leur propre manufacture et transforment un petit appartement chaux-de-fonnier en atelier. La société Renaud & Papi naît en février 1986.

Les jeunes entrepreneurs démarchent alors les entreprises pour leur proposer leurs services et c’est Gunther Blumlein (IWC), devant un projet de répétition minutes, qui leur accorde leur chance. En 1990, la marque schaffhousoise sort la montre «Grande complication». La répétition minute a été réalisée par Renaud & Papi. L’entreprise grandit rapidement, elle étudie de nouvelles complications avec des matériaux innovants et de nouvelles machines pour créer les composants. En 1992, Renaud & Papi emploie cinquante personnes spécialisées dans la production de montres à complications et produit des pièces de très haut de gamme pour des marques prestigieuses avant de s’associer avec Audemars Piguet (Audemars Piguet Renaud & Papi). L’entreprise de Giulio Papi, qui compte aujourd’hui 150 salariés, travaille toujours pour de nombreuses grandes marques.

Giulio Papi a également publié, en collaboration avec Caroline Sermier, l’ouvrage «Finitions et décorations horlogères haut de gamme», édité au Locle en 2006 par Audemars Piguet. Le but de cet ouvrage est d’informer les clients de l’existence de plusieurs niveaux de finitions et de leur montrer comment les apprécier.

Le jury
Le jury, composé de trois membres de la direction du MIH et de personnalités issues de milieux divers en relation avec l’horlogerie, siège sous la présidence du conservateur. Il compte douze membres au minimum et ne dépasse pas quinze personnes. Chaque année, en principe, trois membres sont remplacés. Cette année, le jury était composé de: Régis Huguenin, conservateur et président du Jury; Rossella Baldi, conservatrice adjointe; Jean-Michel Piguet, conservateur adjoint; Henry John Belmont, consultant en horlogerie; Hans Erb, Timesign; Estelle Fallet, conservatrice en chef, responsable pôle histoire du Musée d’art et d’histoire de Genève; Morghan Mootoosamy, conservateur du Musée d’horlogerie du Locle - Château des Monts; Michel Parmigiani, CEO de Parmigiani Fleurier; Nicolas Rossé, journaliste économique à la Radio Télévision Suisse (RTS); Nathalie Tissot, professeure de propriété intellectuelle à l’Université de Neuchâtel; Sylvain Varone, responsable secteur horlogerie au Centre interrégional de formation des Montagnes neuchâteloises; Emmanuel Vuille, CEO de Greubel Forsey; et Janine Vuilleumier, responsable du Service Information de la Fédération de l’industrie horlogère suisse FH.

08.10.2015